L'attaque d'Auberive Nivelle prévoit le début de son offensive dès les premiers jours d'avril. Pour donner plus de punch à son attaque, il achemine 850 000 hommes dans la région, fait procéder à de gigantesques travaux : il ne laisse rien au hasard. Il sera surpris cependant, car les Allemands se replient profondément, d'une quinzaine de kilomètres. Nivelle a raté son effet.
- Cela ne fait rien, assure-t-il, nous attaquons tout de même.
Le 6 avril, ayant à trancher entre l'Etat-Major et le commandant en chef, Poincaré décide : -D'accord. Attaquez.
Malgré une préparation d'artillerie plus étoffée que celle de l'année précédente, les Alliés n'arrivent à aucun résultat.
Le régiment de marche a reçu la mission de s'emparer du village d'Auberive sitot que l'artillerie aura levé le tir. Auberive est situé en bordure d'un bois de bouleaux -ravagé mais dont les Archives Musée de la légion Etrangèretroncs subsistent encore. Il commande un saillant appelé " le Golfe ", sorte de billard battu par les mitrailleuses allemandes.
Pendant sept jours, du 10 au 17 avril, l'artillerie pilonne le secteur mais, les légionnaires vont s'en apercevoir.
Le 17, à 4 h 50, l'ordre d'attaque est lancé. Il pleut. Une de ces pluies de printemps mêlées de vent qui englue tout, alourdit les vêtements, transforme le sol en un magma spongieux qui aspire les godillots.
Aussitôt, épargnées par le tir de barrage, les mitrailleuses balaient la première vague d'assaut. Le lieutenant-colonel Duriez, chef de corps,
tombe l'un des premiers, aussitôt remplacé par le commandant Deville.
L'attaque est brisée, bien que le R.M.L.E. ait réussi à prendre pied dans la partie sud du Golfe et à la corne du bois des bouleaux. On s'y fusille à bout pourtant, sans espoir. Les positions n'ont pas pour autant changé de main.
Le lendemain, la pluie a cessé. La neige la remplace. Il faut repartir.
Le capitaine Maire a pour mission de réduire le saillant du Golfe. Avec une flegme de vieux légionnaire, il a, durant la nuit, prévu avec l'artillerie un appui sérieux, mais :
- Vous ne le déclencherez qu'à mon commandement.
Il s'est aperçu que pour les Allemands, les tirs de préparation étaient un "signal" .
A l'heure dite, sa compagnie s'élance.
" Comme un ressort " écrit-il, mes trois premières sections se ruent à l'assaut. Selon mes ordres, elles se déploient en éventail, atteignent sans encombre la première ligne allemande où veillent les guetteurs ennemis.
" Combien étaient-ils. ces guetteurs ? Tout ce que je sais c'est que, sans perdre une minute, on les " embrocha ".
" Soudain, des crachements. Le tir de barrage : trop tard, nous étions passés... "
Grâce à son manque de confiance dans les vertus de la préparation d'artillerie, Maire réussit l'exploit peu commun de crever, à la tête de compagnie, le front allemand. A 5 h 10, il est hors de portée des contre-attaques ennemies.
Malheureusement, il est le seul. Et la Légion, ce jour-là encore, paie un lourd tribut. Les chefs de bataillons sont tués les uns après les autres, successivement, le capitaine de Lannurien, puis le capitaine Germann.
L'effectif du 3ème est réduit à 275 hommes le 19 au soir...
Mais le R.M.L.E. a un pied chez l'ennemi. A la grenade, il remonte le " grand boyau ", au coeur de la ligne ennemie. Il en " nettoie " sept kilomètres dans la journée.
Au soir, enfin, il entre dans Auberive.
-Mission accomplie.
L'exploit de l'adjudant-chef Mader C'est le lendemain que se situe l'exploit peu commun d'un des rares Allemands venus combattre en
. -Legio patria nostra, disait Mader. Et ce qui est bon pour les autres est assez bon pour moi.
Depuis deux ans donc, Mader -l'adjudant-chef Mader, Max-Emmanuel, de la 6ème compagnie du R.M.L.E. -fait la guerre. L'aube du 21 avril se lève. Une aube grise et froide sur un terrain qui, durant trois jours a vu de durs combats.
La tranchée 67, par laquelle, la veille a attaqué le 2ème bataillon, est encore jonchée de cadavres ennemis et amis mêlés dans la mort. Partout de la boue, des caisses, des armes, des vêtements déchirés, sans formes ni couleurs. Tout est gris, souillé, horrible.
Dans une sape, écrasés de fatigue, les rescapés des 6ème et 7ème compagnies dorment. Ils dorment malgré la fumée des incendies qui
couvent sous les débris; la boue, l'humidité, le froid. Ils dorment sans savoir si l'homme sur lequel ils s'appuient est mort ou vivant, ami ou prisonnier.
Pourtant, à l'extérieur, au milieu de la tranchée 67, l'adjudant-chef Mader continue à veiller.
Il a remarqué que la 67 était orientée vers le Nord et qu'elle commande un petit vallon, au fond duquel, Mader en est persuadé, se cache quelque objectif intéressant. Son instinct de baroudeur le trompe rarement.
-A 150 mètres en avant, dit-il au capitaine, je suis sûr qu'il y a du canon...
-Peut-être, mais pour y arriver, il y a aussi une bonne compagnie armée de mitrailleuses : si l'on s'avise de passer par ce vallon, on n'a aucune chance d'en réchapper.
Plus bas, un légionnaire veille. Mon adjudant chef, appelle-t-il à mi-voix.
- Qu'est-ce que tu veux, Bangerter ?
- Il y a des types de chez nous qui avancent dans le vallon, dit-il : ils n'ont pas vu la mitrailleuse et, si on les prévient pas, ils vont se faire massacrer.
Bangerter est 1'. classe depuis un mois. Tout jeune -il a dix-huit ans à peine -les horreurs de la guerre n'ont pas encore desséché son coeur.
Mader sourit :
-Toi, ta bonté te perdra...
Il jette un oeil dans la direction indiquée et, comme pour lui :
- Des" poilus" du 168ème, grogne-t-il. Peuvent pas faire attention...
- Qu'est-ce qu'on fait ? demande Bangerter : on allume les B... pardon, l'ennemi.
A temps, le 1ère classe s'est rappelé la nationalité de son adjudant.
Mais Mader, froidemént :
- Si t'allumes les Boches, espèce de cloche, tu va allumer aussi les autres et ils te tireront sur la gueule...
Les Français sont, de fait, exactement dans l'axe des Allemands.
Mais l'adjudant-chef Mader a du métier. En quelques secondes, il rameute dix légionnaires et fonce. Sa décision a été vite prise : pas question de tirer
sur la compagnie ennemie, en revanche, on peut l'attaquer à la grenade.
Il sort avec ses dix volontaires, et bondit dans le vallon. Avec une telle fougue qu'ils ont atteint un angle mort avant que les mitrailleurs n'aient eu le temps de les ajuster.
Les hommes de la compagnie du 168 ne soupçonnent toujours rien. Ils arrivent au pied du fortin allemand qu'ils croient inoccupé. Au-dessus d'eux, l'ennemi les attend.
C'est alors que Mader intervient: à la grenade, il nettoie la position, surgissant comme un diable dans le dos des Allemands médusés.
Ceux qui ne sont pas déchiquetés par les explosions s'enfuient vers la batterie de 150 que maintenant Mader voit bien mieux.
Il saute dans le boyau, serre en vitesse la main du capitaine du 168ème auquel il a sauvé la vie et, très vite :
-Pas une minute à perdre: faut pas que ces cons-là aillent me foutre la pagaille. Faut les rattraper avant qu'il n'arrivent aux canons.
Il court dans le boyau, arrache, au passage, une musette de grenade que portait l'un des biffins. Il galope, prend aux fuyards quelques mètres, les remonte. Derrière lui, les dix légionnaires suivent, en désordre.
L'adjudant-chef MaderMader est à la hauteur des derniers fugitifs. Ceux-ci ont la mauvaise idée de sauter dans un abri. Mader y balance des grenades. Il débouche ainsi, seul, au milieu des canons à peine gardés par quelques Saxons, mal réveillés et qui attendent l'heure de la relève. A la grenade encore, Mader fait le vide.
Les autres finissent par se manifester, mais l'arrivée opportune des dix légionnaires règle définitivement le sort des Saxons. ..et de leurs canons.
Bilan : une compagnie française sauvée, une compagnie ennemie mise en fuite, une batterie lourde capturée... et, pour Mader, la Légion d'honneur.